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L’ASSOMMOIR.

teur, d’abord grosses comme des billes, puis grosses comme des boulets ; et elles enflaient, et elles maigrissaient, histoire simplement de l’embêter. Tout d’un coup, il cria :

— Oh ! les rats, v’là les rats, à cette heure !

C’étaient les boules qui devenaient des rats. Ces sales animaux grossissaient, passaient à travers le filet, sautaient sur le matelas, où ils s’évaporaient. Il y avait aussi un singe, qui sortait du mur, qui rentrait dans le mur, en s’approchant chaque fois si près de lui, qu’il reculait, de peur d’avoir le nez croqué. Brusquement, ça changea encore ; les murs devaient cabrioler, car il répétait, étranglé de terreur et de rage :

— C’est ça, aïe donc ! secouez-moi, je m’en fiche !… Aïe donc ! la cambuse ! aïe donc ! par terre !… Oui, sonnez les cloches, tas de corbeaux ! jouez de l’orgue pour m’empêcher d’appeler la garde !… Et ils ont mis une machine derrière le mur, ces racailles ! Je l’entends bien, elle ronfle, ils vont nous faire sauter… Au feu ! nom de Dieu ! au feu. On crie au feu ! voilà que ça flambe. Oh ! ça s’éclaire, ça s’éclaire ! tout le ciel brûle, des feux rouges, des feux verts, des feux jaunes… À moi ! au secours ! au feu !

Ses cris se perdaient dans un râle. Il ne marmottait plus que des mots sans suite, une écume à la bouche, le menton mouillé de salive. Le médecin se frottait le nez avec le doigt, un tic qui lui était sans doute habituel, en face des cas graves. Il se tourna vers l’interne, lui demanda à mi-voix :

— Et la température, toujours quarante degrés, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

Le médecin fit une moue. Il demeura encore là