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L’ASSOMMOIR.

gardait pas, ils continuaient leur train-train, sans se presser ni se ralentir. De vrais pieds mécaniques, des pieds qui prenaient leur plaisir où ils le trouvaient.

Pourtant, Gervaise, ayant vu les médecins poser leurs mains sur le torse de son homme, voulut le tâter elle aussi. Elle s’approcha doucement, lui appliqua sa main sur une épaule. Et elle la laissa une minute. Mon Dieu ! qu’est-ce qui se passait donc là dedans ? Ça dansait jusqu’au fond de la viande ; les os eux-mêmes devaient sauter. Des frémissements, des ondulations arrivaient de loin, coulaient pareils à une rivière, sous la peau. Quand elle appuyait un peu, elle sentait les cris de souffrance de la moelle. À l’œil nu, on voyait seulement les petites ondes creusant des fossettes, comme à la surface d’un tourbillon ; mais, dans l’intérieur, il devait y avoir un joli ravage. Quel sacré travail ! un travail de taupe ! C’était le vitriol de l’Assommoir qui donnait là-bas des coups de pioche. Le corps entier en était saucé, et dame ! il fallait que ce travail s’achevât, émiettant, emportant Coupeau, dans le tremblement général et continu de toute la carcasse.

Les médecins s’en étaient allés. Au bout d’une heure, Gervaise, restée avec l’interne, répéta à voix basse :

— Monsieur, monsieur, il est mort…

Mais l’interne, qui regardait les pieds, dit non de la tête. Les pieds nus, hors du lit, dansaient toujours. Ils n’étaient guère propres, et ils avaient les ongles longs. Des heures encore passèrent. Tout d’un coup, ils se raidirent, immobiles. Alors, l’interne se tourna vers Gervaise, en disant :

— Ça y est.

La mort seule avait arrêté les pieds.