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L’ASSOMMOIR.

laissaient passer seulement par les fentes des boiseries la cadence d’un berceau, les pleurs étouffés d’un enfant, la grosse voix d’une femme coulant avec un sourd murmure d’eau courante, sans paroles distinctes ; et elle put lire des pancartes clouées, portant des noms : Madame Gaudron, cardeuse, et plus loin : Monsieur Madinier, atelier de cartonnage. On se battait au quatrième : un piétinement dont le plancher tremblait, des meubles culbutés, un effroyable tapage de jurons et de coups ; ce qui n’empêchait pas les voisins d’en face de jouer aux cartes, la porte ouverte, pour avoir de l’air. Mais, quand elle fut au cinquième, Gervaise dut souffler ; elle n’avait pas l’habitude de monter ; ce mur qui tournait toujours, ces logements entrevus qui défilaient, lui cassaient la tête. Une famille, d’ailleurs, barrait le palier ; le père lavait des assiettes sur un petit fourneau de terre, près du plomb, tandis que la mère, adossée à la rampe, nettoyait le bambin, avant d’aller le coucher. Cependant, Coupeau encourageait la jeune femme. Ils arrivaient. Et, lorsqu’il fut enfin au sixième, il se retourna pour l’aider d’un sourire. Elle, la tête levée, cherchait d’où venait un filet de voix, qu’elle écoutait depuis la première marche, clair et perçant, dominant les autres bruits. C’était, sous les toits, une petite vieille qui chantait en habillant des poupées à treize sous. Gervaise vit encore, au moment où une grande fille rentrait avec un seau dans une chambre voisine, un lit défait, où un homme en manches de chemise attendait, vautré, les yeux en l’air ; sur la porte refermée, une carte de visite écrite à la main indiquait : Mademoiselle Clémence, repasseuse. Alors, tout en haut, les jambes cassées, l’haleine courte, elle eut la curiosité de se pencher au-dessus de la