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LES ROUGON-MACQUART.

sur un gros morceau de charbon de bois. Il les mouillait d’une goutte de borax, prise dans le cul d’un verre cassé, à côté de lui ; et, rapidement, il les rougissait à la lampe, sous la flamme horizontale du chalumeau. Alors, quand il eut une centaine de maillons, il se remit une fois encore à son travail menu, appuyé au bord de la cheville, un bout de planchette que le frottement de ses mains avait poli. Il ployait la maille à la pince, la serrait d’un côté, l’introduisait dans la maille supérieure déjà en place, la rouvrait à l’aide d’une pointe ; cela avec une régularité continue, les mailles succédant aux mailles, si vivement, que la chaîne s’allongeait peu à peu sous les yeux de Gervaise, sans lui permettre de suivre et de bien comprendre.

— C’est la colonne, dit Coupeau. Il y a le jaseron, le forçat, la gourmette, la corde. Mais ça, c’est la colonne. Lorilleux ne fait que la colonne.

Celui-ci eut un ricanement de satisfaction. Il cria, tout en continuant à pincer les mailles, invisibles entre ses ongles noirs :

— Écoute donc, Cadet-Cassis !… J’établissais un calcul, ce matin. J’ai commencé à douze ans, n’est-ce pas ? Eh bien ! sais-tu quel bout de colonne j’ai dû faire au jour d’aujourd’hui ?

Il leva sa face pâle, cligna ses paupières rougies.

— Huit mille mètres, entends-tu ! Deux lieues !… Hein ! un bout de colonne de deux lieues ! Il y a de quoi entortiller le cou à toutes les femelles du quartier… Et, tu sais, le bout s’allonge toujours. J’espère bien aller de Paris à Versailles.

Gervaise était retournée s’asseoir, désillusionnée, trouvant tout très-laid. Elle sourit pour faire plaisir aux Lorilleux. Ce qui la gênait surtout, c’était le si-