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L’ASSOMMOIR.

— Mais il n’y a pas à se fâcher, murmura-t-elle, avec un sourire aimable. Madame peut regarder ses semelles.

Et Gervaise, très-rouge, se rassit, leva les pieds, fit voir qu’il n’y avait rien. Coupeau avait ouvert la porte en criant : Bonsoir ! d’une voix brusque. Il l’appela, du corridor. Alors, elle sortit à son tour, après avoir balbutié une phrase de politesse : elle espérait bien qu’on se reverrait et qu’on s’entendrait tous ensemble. Mais les Lorilleux s’étaient déjà remis à l’ouvrage, au fond du trou noir de l’atelier, où la petite forge luisait, comme un dernier charbon blanchissant dans la grosse chaleur d’un four. La femme, un coin de la chemise glissé sur l’épaule, la peau rougie par le reflet du brasier, tirait un nouveau fil, gonflait à chaque effort son cou, dont les muscles se roulaient, pareils à des ficelles. Le mari, courbé sous la lueur verte de la boule d’eau, recommençant un bout de chaîne, ployait la maille à la pince, la serrait d’un côté, l’introduisait dans la maille supérieure, la rouvrait à l’aide d’une pointe, continuellement, mécaniquement, sans perdre un geste pour essuyer la sueur de sa face.

Quand Gervaise déboucha des corridors sur le palier du sixième, elle ne put retenir cette parole, les larmes aux yeux :

— Ça ne promet pas beaucoup de bonheur.

Coupeau branla furieusement la tête. Lorilleux lui revaudrait cette soirée-là. Avait-on jamais vu un pareil grigou ! croire qu’on allait lui emporter trois grains de sa poussière d’or ! Toutes ces histoires, c’était de l’avarice pure. Sa sœur avait peut-être cru qu’il ne se marierait jamais, pour lui économiser quatre sous sur son pot-au-feu ? Enfin, ça se ferait quand