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L’ASSOMMOIR.

Boche. On devait aller tranquillement à la mairie et à l’église, tous les six, sans traîner derrière soi une queue de monde. Les deux sœurs du marié avaient même déclaré qu’elles resteraient chez elles, leur présence n’étant pas nécessaire. Seule maman Coupeau s’était mise à pleurer, en disant qu’elle partirait plutôt en avant, pour se cacher dans un coin ; et on avait promis de l’emmener. Quant au rendez-vous de toute la société, il était fixé à une heure, au Moulin-d’Argent. De là on irait gagner la faim dans la plaine Saint-Denis ; on prendrait le chemin de fer et on retournerait à pattes, le long de la grande route. La partie s’annonçait très bien, pas une bosse à tout avaler, mais un brin de rigolade, quelque chose de gentil et d’honnête.

Le samedi matin, en s’habillant, Coupeau fut pris d’inquiétude, devant sa pièce de vingt sous. Il venait de songer que, par politesse, il lui faudrait offrir un verre de vin et une tranche de jambon aux témoins, en attendant le dîner. Puis, il y aurait peut-être des frais imprévus. Décidément, vingt sous, ça ne suffisait pas. Alors, après s’être chargé de conduire Claude et Étienne chez madame Boche, qui devait les amener le soir au dîner, il courut rue de la Goutte-d’Or et monta carrément emprunter dix francs à Lorilleux. Par exemple, ça lui écorchait le gosier, car il s’attendait à la grimace de son beau-frère. Celui-ci grogna, ricana d’un air de mauvaise bête, et finalement prêta les deux pièces de cent sous. Mais Coupeau entendit sa sœur qui disait entre ses dents que « ça commençait bien. »

Le mariage à la mairie était pour dix heures et demie. Il faisait très beau, un soleil du tonnerre, rôtissant les rues. Pour ne pas être regardés, les mariés, la maman et les quatre témoins se séparèrent en deux