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L’ASSOMMOIR.

Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentiment général : c’était tapé.

Dans la galerie d’Apollon, le parquet surtout émerveilla la société, un parquet luisant, clair comme un miroir, où les pieds des banquettes se reflétaient. Mademoiselle Remanjou fermait les yeux, parce qu’elle croyait marcher sur de l’eau. On criait à madame Gaudron de poser ses souliers à plat, à cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et les peintures du plafond ; mais ça leur cassait le cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d’entrer dans le salon carré, il indiqua une fenêtre du geste, en disant :

— Voilà le balcon d’où Charles IX a tiré sur le peuple.

Cependant, il surveillait la queue du cortège. D’un geste, il commanda une halte, au milieu du salon carré. Il n’y avait là que des chefs-d’œuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans une église. On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana ; c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l’œil les femmes nues ; les cuisses de l’Antiope surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l’homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo.

Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’on recommençât ; ça en valait la peine. Il s’occupait beaucoup de madame Lorilleux, à cause de sa robe de soie ; et, chaque fois qu’elle l’interrogeait, il