Page:Zola - La Confession de Claude (Charpentier 1893).djvu/206

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de ma nuit & qu’il me prenne le caprice de conter à la foule mes amours lointaines, j’imiterai sans doute ces pleurards, ces rêveurs qui parent de rayons les démons de leurs vingt ans & leur mettent des ailes aux épaules. On les nomme les poètes de la jeunesse, ces menteurs qui ont souffert, qui ont versé toutes leurs larmes, & qui aujourd’hui, dans leurs souvenirs, n’ont plus que des sourires & des regrets. Je vous assure que j’ai vu leur sang, que j’ai vu leur chair à nu, déchirée & endolorie. Ils ont vécu dans la souffrance, ils ont grandi dans le désespoir. Leurs maîtresses étaient infâmes, leurs amours avaient toutes les horreurs des amours du ruisseau. Ils ont été trompés, blessés, traînés dans la boue ; jamais ils n’ont rencontré un cœur, & chacun d’eux a eu sa Laurence qui a fait de sa jeunesse une solitude désolée. Puis la blessure s’est fermée, l’âge est venu, le souvenir a donné son charme caressant à toute l’infamie d’autrefois, & ils ont pleuré