Page:Zola - La Confession de Claude (Charpentier 1893).djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vingt ans acceptait dans leur sens absolu ces mots qui n’admettaient aucune hésitation : « Tu es mien, je suis tienne. »

Ce matin, lorsque je me suis éveillé & que j’ai trouvé Laurence à mon côté, j’ai senti mon cœur se serrer d’angoisse. La scène de la nuit s’était effacée. Je n’entendais plus ces vraies & rudes paroles qui m’avaient fait recevoir cette fille. Le fait brutal seul demeurait.

Je l’ai regardée dormir. Je la voyais pour la première fois au jour, sans que son visage eût l’étrange beauté de la souffrance ou du désespoir. Quand elle m’est apparue ainsi, laide & vieillie, affaissée dans un lourd sommeil de brute, j’ai frémi devant cette face commune & fanée que je ne connaissais pas. Je n’ai pu comprendre comment il se faisait que je m’éveillais ayant une telle compagne. Je sortais comme d’un rêve, & la réalité se montrait si horrible que j’oubliais ce qui me l’avait fait accepter.