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PREMIÈRE PARTIE


I


À deux kilomètres de Mulhouse, vers le Rhin, au milieu de la plaine fertile, le camp était dressé. Sous le jour finissant de cette soirée d’août, au ciel trouble, traversé de lourds nuages, les tentes-abris s’alignaient, les faisceaux luisaient, s’espaçaient régulièrement sur le front de bandière ; tandis que, fusils chargés, les sentinelles les gardaient, immobiles, les yeux perdus, là-bas, dans les brumes violâtres du lointain horizon, qui montaient du grand fleuve.

On était arrivé de Belfort vers cinq heures. Il en était huit, et les hommes venaient seulement de toucher les vivres. Mais le bois devait s’être égaré, la distribution n’avait pu avoir lieu. Impossible d’allumer du feu et de faire la soupe. Il avait fallu se contenter de mâcher à froid le biscuit, qu’on arrosait de grands coups d’eau-de-vie, ce qui achevait de casser les jambes, déjà molles de fatigue. Deux soldats pourtant, en arrière des faisceaux, près de la cantine, s’entêtaient à vouloir enflammer un tas de bois vert, de jeunes troncs d’arbre qu’ils avaient coupés avec leurs sabres-baïonnettes, et qui refusaient