Page:Zola - La Débâcle.djvu/110

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vant comprendre, il continua à demi-voix, pour lui, parlant des chefs :

— Plus bêtes que méchants, c’est certain, et pas de chance ! Ils ne savent rien, ils ne prévoient rien, ils n’ont ni plan, ni idées, ni hasards heureux… Allons, tout est contre nous, nous sommes fichus !

Et ce découragement, que Maurice raisonnait en garçon intelligent et instruit, il grandissait, il pesait peu à peu sur toutes les troupes, immobilisées sans raison, dévorées par l’attente. Obscurément, le doute, le pressentiment de la situation vraie faisaient leur travail, dans ces cervelles épaisses ; et il n’était plus un homme, si borné fût-il, qui n’éprouvât le malaise d’être mal conduit, attardé à tort, poussé au hasard dans la plus désastreuse des aventures. Qu’est-ce qu’on fichait là, bon dieu ! puisque les Prussiens ne venaient pas ? Ou se battre tout de suite, ou s’en aller quelque part dormir tranquille. Ils en avaient assez. Depuis que le dernier aide de camp était parti pour rapporter des ordres, l’anxiété croissait ainsi de minute en minute, des groupes s’étaient formés, parlant haut, discutant. Les officiers, gagnés par cette agitation, ne savaient que répondre aux soldats qui osaient les interroger. Aussi, à cinq heures, lorsque le bruit se répandit que l’aide de camp était de retour et qu’on allait se replier, y eut-il un allègement dans toutes les poitrines, un soupir de profonde joie.

Enfin, c’était donc le parti de la sagesse qui l’emportait ! L’empereur et le maréchal, qui n’avaient jamais été pour cette marche sur Verdun, inquiets d’apprendre qu’ils étaient de nouveau gagnés de vitesse et qu’ils allaient avoir contre eux l’armée du prince royal de Saxe et celle du prince royal de Prusse, renonçaient à l’improbable jonction avec Bazaine, pour battre en retraite par les places fortes du Nord, de façon à se replier ensuite sur Paris. Le 7e corps recevait l’ordre de remonter sur