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Page:Zola - La Débâcle.djvu/165

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— Et Charlot ?

— Il est couché, il dort.

— Ah ! bon, merci !

Du coup, elle ne se hâta plus, poussant un gros soupir, où toute son angoisse et toute sa fatigue s’exhalaient.

— Entre par la fenêtre, reprit Fouchard. Il y a du monde.

Et, comme elle sautait dans la salle, elle resta saisie devant les trois hommes. Sous la lumière vacillante de la chandelle, elle apparaissait, très brune, avec ses épais cheveux noirs, ses grands beaux yeux, qui suffisaient à sa beauté, dans son visage ovale, d’une tranquillité forte de soumission. Mais, en ce moment, la vue brusque d’Honoré avait jeté tout le sang de son cœur à ses joues ; et elle n’était pas étonnée pourtant de le trouver là, elle avait songé à lui, en galopant depuis Raucourt.

Lui, étranglé, défaillant, affectait le plus grand calme.

— Bonsoir, Silvine.

— Bonsoir, Honoré.

Alors, pour ne pas éclater en sanglots, elle tourna la tête, elle sourit à Maurice, qu’elle venait de reconnaître. Jean la gênait. Elle étouffait, elle ôta le foulard qu’elle avait au cou.

Honoré reprit, ne la tutoyant plus, comme autrefois :

— Nous étions inquiets de vous, Silvine, à cause de tous ces Prussiens qui arrivent.

Elle redevint subitement pâle, la face bouleversée ; et, avec un regard involontaire vers la chambre où dormait Charlot, agitant la main, comme pour chasser une vision abominable, elle murmura :

— Les Prussiens, oh ! oui, oui, je les ai vus.

À bout de force, tombée sur une chaise, elle raconta que, lorsque le 7e corps avait envahi Raucourt, elle s’était réfugiée chez son parrain, le docteur Dalichamp, espérant que le père Fouchard aurait l’idée de venir l’y prendre,