Page:Zola - La Débâcle.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il s’approcha, saisit violemment Weiss par un revers de sa redingote. Tout son grand corps maigre de chevalier errant exprimait l’absolu mépris de l’ennemi, quel qu’il fût, dans une insouciance complète du temps et des lieux.

— Écoutez bien, monsieur… Si les Prussiens osent venir, nous les reconduirons chez eux à coups de pied dans le cul… Vous entendez, à coups de pied dans le cul, jusqu’à Berlin !

Et il eut un geste superbe, la sérénité d’un enfant, la conviction candide de l’innocent qui ne sait rien et ne craint rien.

— Parbleu ! c’est comme ça, parce que c’est comme ça !

Weiss, étourdi, convaincu presque, se hâta de déclarer qu’il ne demandait pas mieux. Quant à Maurice, qui se taisait, n’osant intervenir devant son supérieur, il finit par éclater de rire avec lui : ce diable d’homme, que d’ailleurs il jugeait stupide, lui faisait chaud au cœur. De même, Jean, d’un hochement de tête, avait approuvé chaque parole du lieutenant. Lui aussi était à Solférino, où il avait tant plu. Et voilà qui était parler ! Si tous les chefs avaient parlé comme ça, on ne se serait pas mal fichu qu’il manquât des marmites et des ceintures de flanelle !

La nuit était complètement venue depuis longtemps, et Rochas continuait d’agiter ses grands membres dans les ténèbres. Il n’avait jamais épelé qu’un volume des victoires de Napoléon, tombé au fond de son sac de la boîte d’un colporteur. Et il ne pouvait se calmer, et toute sa science sortit en un cri impétueux.

— L’Autriche rossée à Castiglione, à Marengo, à Austerlitz, à Wagram ! la Prusse rossée à Eylau, à Iéna, à Lutzen ! la Russie rossée à Friedland, à Smolensk, à la Moskowa ! l’Espagne, l’Angleterre rossées partout ! la terre