Page:Zola - La Débâcle.djvu/198

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inquiet des provisions qu’il avait déjà mises à la cave, un tonneau de vin, deux sacs de pommes de terre, certain, disait-il, que des maraudeurs pilleraient la maison si elle restait vide, tandis qu’il la préserverait sans doute en l’occupant cette nuit-là. Sa femme, pendant qu’il parlait, le regardait fixement.

— Sois tranquille, ajouta-t-il avec un sourire, je n’ai pas d’autre idée que de veiller sur nos quatre meubles. Et je te promets, si le village est attaqué, s’il y a un danger quelconque, de revenir tout de suite.

— Va, dit-elle. Mais reviens, ou je vais te chercher.

À la porte, Henriette embrassa tendrement Maurice. Puis, elle tendit la main à Jean, garda la sienne quelques secondes, dans une étreinte amicale.

— Je vous confie encore mon frère… Oui, il m’a conté combien vous avez été gentil pour lui, et je vous aime beaucoup.

Il fut si troublé, qu’il se contenta de serrer, lui aussi, cette petite main frêle et solide. Et il retrouvait son impression de l’arrivée, cette Henriette aux cheveux d’avoine mûre, si légère, si riante dans son effacement, qu’elle emplissait l’air, autour d’elle, comme d’une caresse.

En bas, ils retombèrent dans le Sedan assombri du matin. Le crépuscule noyait déjà les rues étroites, toute une agitation confuse obstruait le pavé. La plupart des boutiques s’étaient fermées, les maisons semblaient mortes, tandis que, dehors, on s’écrasait. Cependant, sans trop de peine, ils avaient atteint la place de l’Hôtel-de-Ville, lorsqu’ils firent la rencontre de Delaherche, flânant là, en curieux. Tout de suite, il s’exclama, parut enchanté de reconnaître Maurice, raconta qu’il venait justement de reconduire le capitaine Beaudoin, du côté de Floing, où était le régiment ; et son habituelle satisfaction augmenta encore, lorsqu’il sut que Weiss allait coucher à Bazeilles ; car lui-même, comme il le disait à