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Page:Zola - La Débâcle.djvu/218

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jeune fille traverser la chaussée d’une course éperdue, sans être atteinte. Puis, un vieillard, un paysan vêtu d’une blouse, qui s’obstinait à faire rentrer son cheval à l’écurie, reçut une balle en plein front, et d’un tel choc, qu’il en fut projeté au milieu de la route. La toiture de l’église venait d’être défoncée par la chute d’un obus. Deux autres avaient incendié des maisons, qui flambaient dans la lumière vive, avec des craquements de charpente. Et cette misérable Françoise broyée près de son enfant malade, ce paysan avec une balle dans le crâne, ces démolitions et ces incendies achevaient d’exaspérer les habitants qui avaient mieux aimé mourir là que de se sauver en Belgique. Des bourgeois, des ouvriers, des gens en paletot et en bourgeron, tiraient rageusement par les fenêtres.

— Ah ! les bandits ! cria Weiss, ils ont fait le tour… Je les voyais bien qui filaient le long du chemin de fer… Tenez ! les entendez-vous, là-bas, à gauche ?

En effet, une fusillade venait d’éclater, derrière le parc de Montivilliers, dont les arbres bordaient la route. Si l’ennemi s’emparait de ce parc, Bazeilles était pris. Mais la violence même du feu prouvait que le commandant du 12e corps avait prévu le mouvement et que le parc se trouvait défendu.

— Prenez donc garde, maladroit ! cria le lieutenant, en forçant Weiss à se coller contre le mur, vous allez être coupé en deux !

Ce gros homme, si brave, avec ses lunettes, avait fini par l’intéresser, tout en le faisant sourire ; et, comme il entendait venir un obus, il l’avait fraternellement écarté. Le projectile tomba à une dizaine de pas, éclata en les couvrant tous les deux de mitraille. Le bourgeois restait debout, sans une égratignure, tandis que le lieutenant avait eu les deux jambes brisées.

— Allons, bon ! murmura-t-il, c’est moi qui ai mon compte !