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Page:Zola - La Débâcle.djvu/245

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aucune autre ressource que de se faire tout petit, dans le sillon où l’on se terrait ! Pas même le soulagement, la griserie de s’étourdir en lâchant des coups de fusil ; car tirer sur qui ? puisqu’on ne voyait toujours personne, à l’horizon vide !

— Allons-nous tirer à la fin ! répétait Maurice hors de lui. Je donnerais cent sous pour en voir un. C’est exaspérant d’être mitraillé ainsi, sans pouvoir répondre.

— Attends, ça viendra peut-être, répondait Jean, paisible.

Mais un galop, à leur gauche, leur fit tourner la tête. Ils reconnurent le général Douay, suivi de son état-major, accouru pour se rendre compte de la solidité de ses troupes, sous le feu terrible du Hattoy. Il sembla satisfait, il donnait quelques ordres, lorsque, débouchant d’un chemin creux, le général Bourgain-Desfeuilles parut à son tour. Ce dernier, tout soldat de cour qu’il était, trottait insouciamment au milieu des projectiles, entêté dans sa routine d’Afrique, n’ayant profité d’aucune leçon. Il criait et gesticulait comme Rochas.

— Je les attends, je les attends tout à l’heure, au corps à corps !

Puis, apercevant le général Douay, il s’approcha.

— Mon général, est-ce vrai, cette blessure du maréchal ?

— Oui, malheureusement… J’ai reçu tout à l’heure un billet du général Ducrot, où il m’annonçait que le maréchal l’avait désigné pour prendre le commandement de l’armée.

— Ah ! c’est le général Ducrot !… Et quels sont les ordres ?

Le général eut un geste désespéré. Depuis la veille, il sentait l’armée perdue, il avait vainement insisté pour qu’on occupât les positions de Saint-Menges et d’Illy, afin d’assurer la retraite sur Mézières.