Page:Zola - La Débâcle.djvu/247

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Et il galopa, réellement insoucieux au fond, n’ayant vu dans la guerre qu’un moyen rapide de passer général de division, gardant la seule hâte que cette bête de campagne s’achevât au plus tôt, depuis qu’elle apportait si peu de contentement à tout le monde.

Alors, parmi les soldats de la compagnie Beaudoin, ce fut une risée. Maurice ne disait rien, mais il était de l’avis de Chouteau et de Loubet, qui blaguaient, débordants de mépris. À hue, à dia ! va comme je te pousse ! En v’là des chefs qui s’entendaient et qui ne tiraient pas la couverture à eux ! Est-ce que le mieux n’était pas d’aller se coucher, quand on avait des chefs pareils ? Trois commandants en deux heures, trois gaillards qui ne savaient pas même au juste ce qu’il y avait à faire et qui donnaient des ordres différents ! non, vrai, c’était à ficher en colère et à démoraliser le bon Dieu en personne ! Et les accusations fatales de trahison revenaient, Ducrot et Wimpffen voulaient gagner les trois millions de Bismarck, comme Mac-Mahon.

Le général Douay était resté, en avant de son état-major, seul et les regards au loin, sur les positions prussiennes, dans une rêverie d’une infinie tristesse. Longtemps, il examina le Hattoy, dont les obus tombaient à ses pieds. Puis, après s’être tourné vers le plateau d’Illy, il appela un officier, pour porter un ordre, là-bas, à la brigade du 5e corps, qu’il avait demandée la veille au général de Wimpffen, et qui le reliait à la gauche du général Ducrot. Et on l’entendit encore dire nettement :

— Si les Prussiens s’emparaient du calvaire, nous ne pourrions rester une heure ici, nous serions rejetés dans Sedan.

Il partit, disparut avec son escorte, au coude du chemin creux, et le feu redoubla. On l’avait aperçu sans doute. Les obus, qui, jusque-là, n’étaient arrivés que de face, se mirent à pleuvoir par le travers, venant de la gauche.