Page:Zola - La Débâcle.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

oubliée. Pas un homme même ne les gardait. Cela lui fit froid au cœur, toute cette artillerie inutile et morne, dormant d’un sommeil d’abandon au fond de ces ruelles désertes. Alors, elle dut revenir, par la place du Collège, vers la Grande-Rue, où, devant l’hôtel de l’Europe, des ordonnances tenaient en main des chevaux, en attendant des officiers supérieurs, dont les voix hautes s’élevaient dans la salle à manger, violemment éclairée. Place du Rivage et place Turenne, il y avait plus de monde encore, des groupes d’habitants inquiets, des femmes, des enfants mêlés à de la troupe débandée, effarée ; et, là, elle vit un général sortir en jurant de l’hôtel de la Croix d’Or, puis galoper rageusement, au risque de tout écraser. Un instant, elle parut vouloir entrer à l’Hôtel de Ville ; enfin, elle prit la rue du Pont-de-Meuse, pour pousser jusqu’à la Sous-Préfecture.

Et jamais Sedan ne lui avait fait cette impression de ville tragique, ainsi vu, sous le petit jour sale, noyé de brouillard. Les maisons semblaient mortes ; beaucoup, depuis deux jours, se trouvaient abandonnées et vides ; les autres restaient hermétiquement closes, dans l’insomnie peureuse qu’on y sentait. C’était tout un matin grelottant, avec ces rues à demi désertes encore, seulement peuplées d’ombres anxieuses, traversées de brusques départs, au milieu du ramas louche qui traînait déjà de la veille. Le jour allait grandir et la ville s’encombrer, submergée sous le désastre. Il était cinq heures et demie, on entendait à peine le bruit du canon, assourdi entre les hautes façades noires.

À la Sous-Préfecture, Henriette connaissait la fille de la concierge, Rose, une petite blonde, l’air délicat et joli, qui travaillait à la fabrique Delaherche. Tout de suite, elle entra dans la loge. La mère n’était pas là, mais Rose l’accueillit avec sa gentillesse.

— Oh ! ma chère dame, nous ne tenons plus debout.