Page:Zola - La Débâcle.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle prenait l’escalier de service pour monter à la chambre de Gilberte, une autre surprise l’arrêta, une rencontre si imprévue, qu’elle en redescendit les trois marches déjà gravies, ne sachant plus si elle oserait aller frapper là-haut. Un soldat, un capitaine venait de passer devant elle, d’une légèreté d’apparition, aussitôt évanoui ; et elle avait eu pourtant le temps de le reconnaître, l’ayant vu à Charleville, chez Gilberte, lorsque celle-ci n’était encore que madame Maginot. Elle fit quelques pas dans la cour, leva les yeux sur les deux hautes fenêtres de la chambre à coucher, dont les persiennes restaient closes. Puis, elle se décida, elle monta quand même.

Au premier étage, elle comptait frapper à la porte du cabinet de toilette, en petite amie d’enfance, en intime qui venait parfois causer ainsi le matin. Mais cette porte, mal fermée dans une hâte de départ, était restée entr’ouverte. Elle n’eut qu’à la pousser, elle se trouva dans le cabinet, puis dans la chambre. C’était une chambre à très haut plafond, d’où tombaient d’amples rideaux de velours rouge, qui enveloppaient le grand lit tout entier. Et pas un bruit, le silence moite d’une nuit heureuse, rien qu’une respiration calme, à peine distincte, dans un vague parfum de lilas évaporé.

— Gilberte ! appela doucement Henriette.

La jeune femme s’était tout de suite rendormie ; et, sous le faible jour qui pénétrait entre les rideaux rouges des fenêtres, elle avait sa jolie tête ronde, roulée de l’oreiller, appuyée sur l’un de ses bras nus, au milieu de son admirable chevelure noire défaite.

— Gilberte !

Elle s’agita, s’étira, sans ouvrir les paupières.

— Oui, adieu… Oh ! je vous en prie…

Ensuite, soulevant la tête, reconnaissant Henriette :

— Tiens ! c’est toi… Quelle heure est-il donc ?

Quand elle sut que six heures sonnaient, elle éprouva