Page:Zola - La Débâcle.djvu/261

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du lit, d’un geste confus et câlin. Puis, se cachant la face contre son épaule :

— Oui, j’ai bien senti que tu savais, que tu l’avais vu… Chérie, il ne faut pas me juger sévèrement. C’est un ami ancien, je t’avais avoué ma faiblesse, à Charleville, autrefois, tu te souviens…

Elle baissa encore la voix, continua avec un attendrissement où il y avait comme un petit rire :

— Hier, il m’a tant suppliée, quand je l’ai revu… Songe donc, il se bat ce matin, on va le tuer peut-être… Est-ce que je pouvais refuser ?

Et cela était héroïque et charmant, dans sa gaieté attendrie, ce dernier cadeau de plaisir, cette nuit heureuse donnée à la veille d’une bataille. C’était de cela dont elle souriait, malgré sa confusion, avec son étourderie d’oiseau. Jamais elle n’aurait eu le cœur de fermer sa porte, puisque toutes les circonstances facilitaient le rendez-vous.

— Est-ce que tu me condamnes ?

Henriette l’avait écoutée, très grave. Ces choses la surprenaient, car elle ne les comprenait pas. Sans doute, elle était autre. Depuis le matin, son cœur était avec son mari, avec son frère, là-bas, sous les balles. Comment pouvait-on dormir si paisible, s’égayer de cet air amoureux, quand les êtres aimés se trouvaient en péril ?

— Mais ton mari, ma chère, et ce garçon lui-même, est-ce que cela ne te retourne pas le cœur, de ne pas être avec eux ?… Tu ne songes donc pas qu’on peut te les rapporter d’une minute à l’autre, la tête cassée ?

Vivement, de son adorable bras nu, Gilberte écarta l’affreuse image.

— Oh ! mon Dieu ! qu’est-ce que tu me dis là ? Es-tu mauvaise, de me gâter ainsi la matinée !… Non, non, je ne veux pas y songer, c’est trop triste !

Et, malgré elle, Henriette sourit à son tour. Elle se