Page:Zola - La Débâcle.djvu/286

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— Pourquoi donc que je n’en serais pas ? répondit-il. Je n’ai que ma carcasse, je puis bien la donner… Et puis, vous savez, ça m’amuse, à cause que je ne tire pas mal, et que ça va être drôle d’en démolir un à chaque coup, de ces bougres-là !

Déjà, le capitaine et le caporal inspectaient la maison. Rien à faire du rez-de-chaussée, on se contenta de pousser les meubles contre la porte et les fenêtres, pour les barricader le plus solidement possible. Ce fut ensuite dans les trois petites pièces du premier étage et dans le grenier qu’ils organisèrent la défense, approuvant du reste les préparatifs déjà faits par Weiss, les matelas garnissant les persiennes, les meurtrières ménagées de place en place, entre les lames. Comme le capitaine se hasardait à se pencher, pour examiner les alentours, il entendit des cris, des larmes d’enfant.

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-il.

Weiss revit alors, dans la teinturerie voisine, le petit Auguste malade, la face pourpre de fièvre entre ses draps blancs, demandant à boire, appelant sa mère, qui ne pouvait plus lui répondre, gisante sur le carreau, la tête broyée. Et, à cette vision, il eut un geste douloureux, il répondit :

— Un pauvre petit dont un obus a tué la mère, et qui pleure, là, à côté.

— Tonnerre de dieu ! murmura Laurent, ce qu’il va falloir leur faire payer tout ça !

Il n’arrivait encore dans la façade que des balles perdues. Weiss et le capitaine, accompagnés du garçon jardinier et de deux hommes, étaient montés dans le grenier, d’où ils pouvaient mieux surveiller la route. Ils la voyaient obliquement, jusqu’à la place de l’Église. Cette place était maintenant au pouvoir des Bavarois ; mais ils n’avançaient toujours qu’avec beaucoup de peine et une extrême prudence. Au coin d’une ruelle, une poignée de