Page:Zola - La Débâcle.djvu/303

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telle trombe d’obus balayait les champs vides, sans un arbre, que la panique tout de suite se déclara, remportant les hommes le long des pentes, les roulant ainsi que des pailles surprises par un orage. Et le général s’entêta, fit avancer d’autres régiments.

Une estafette, qui passait au galop, cria au colonel de Vineuil un ordre, dans l’effrayant vacarme. Déjà, le colonel était debout sur les étriers, la face ardente ; et, d’un grand geste de son épée, montrant le calvaire :

— Enfin, mes enfants, c’est notre tour !… En avant, là-haut !

Le 106e, entraîné, s’ébranla. Une des premières, la compagnie Beaudoin s’était mise debout, au milieu des plaisanteries, les hommes disant qu’ils étaient rouillés, qu’ils avaient de la terre dans les jointures. Mais, dès les premiers pas, on dut se jeter au fond d’une tranchée-abri qu’on rencontra, tellement le feu devenait vif. Et l’on fila en pliant l’échine.

— Mon petit, répétait Jean à Maurice, attention ! c’est le coup de chien… Ne montre pas le bout de ton nez, car pour sûr on te le démolirait… Et ramasse bien tes os sous ta peau, si tu ne veux pas en laisser en route. Ceux qui en reviendront, cette fois, seront des bons.

Maurice entendait à peine, dans le bourdonnement, la clameur de foule qui lui emplissait la tête. Il ne savait plus s’il avait peur, il courait emporté par le galop des autres, sans volonté personnelle, n’ayant que le désir d’en finir tout de suite. Et il était à ce point devenu un simple flot de ce torrent en marche, qu’un brusque recul s’étant produit, à l’extrémité de la tranchée, devant les terrains nus qu’il restait à gravir, il avait aussitôt senti la panique le gagner, prêt à prendre la fuite. C’était, en lui, l’instinct débridé, une révolte des muscles, obéissant aux souffles épars.

Des hommes déjà retournaient en arrière, lorsque le colonel se précipita.