Page:Zola - La Débâcle.djvu/319

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bouc, le bidon, la gamelle. Une pitié tendre noyait le cœur du cavalier, tandis qu’il serrait les sangles et qu’il s’assurait que tout cela tenait bien.

Ce fut un rude moment. Prosper, qui n’était pas plus poltron qu’un autre, alluma une cigarette, tant il avait la bouche sèche. Quand on va charger, chacun peut se dire : « Cette fois, j’y reste ! » cela dura bien cinq ou six minutes, on racontait que le général Margueritte était allé en avant, pour reconnaître le terrain. On attendait. Les cinq régiments s’étaient formés en trois colonnes, chaque colonne avait sept escadrons de profondeur, de quoi donner à manger aux canons.

Tout d’un coup, les trompettes sonnèrent : À cheval ! Et, presque aussitôt, une autre sonnerie éclata : Sabre à la main !

Le colonel de chaque régiment avait déjà galopé, prenant sa place de bataille, à vingt-cinq mètres en avant du front. Les capitaines étaient à leur poste, en tête de leurs hommes. Et l’attente recommença, dans un silence de mort. Plus un bruit, plus un souffle sous l’ardent soleil. Les cœurs seuls battaient. Un ordre encore, le dernier, et cette masse immobile allait s’ébranler, se ruer d’un train de tempête.

Mais, à ce moment, sur la crête du coteau, un officier parut, à cheval, blessé, et que deux hommes soutenaient. On ne le reconnut pas d’abord. Puis, un grondement s’éleva, roula en une clameur furieuse. C’était le général Margueritte, dont une balle venait de traverser les joues, et qui devait en mourir. Il ne pouvait parler, il agita le bras, là-bas, vers l’ennemi.

La clameur grandissait toujours.

— Notre général… Vengeons-le, vengeons-le !

Alors, le colonel du premier régiment, levant en l’air son sabre, cria d’une voix de tonnerre :

— Chargez !