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Page:Zola - La Débâcle.djvu/339

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Bouroche, exténué, ne répondait point. Puis, l’air brave homme :

— J’ai fait pour le mieux, je ne voulais pas que tu claques, mon garçon… D’ailleurs, je t’ai consulté, tu m’as dit oui.

— J’ai dit oui, j’ai dit oui ! est-ce que je savais, moi !

Et sa colère tomba, il se mit à pleurer à chaudes larmes.

— Qu’est-ce que vous voulez que je foute, maintenant ?

On le remporta sur la paille, on lava violemment la toile cirée et la table ; et les seaux d’eau rouge qu’on jeta de nouveau, à la volée, au travers de la pelouse, ensanglantèrent la corbeille blanche de marguerites.

Mais Delaherche s’étonnait d’entendre toujours le canon. Pourquoi donc ne se taisait-il pas ? La nappe de Rose, maintenant, devait être hissée sur la citadelle. Et on aurait dit, au contraire, que le tir des batteries prussiennes augmentait d’intensité. C’était un vacarme à ne pas s’entendre, un ébranlement secouant les moins nerveux de la tête aux pieds, dans une angoisse croissante. Cela ne devait guère être bon, pour les opérateurs et pour les opérés, ces secousses qui vous arrachaient le cœur. L’ambulance entière en était bousculée, enfiévrée, jusqu’à l’exaspération.

— C’était fini, qu’ont-ils donc à continuer ? s’écria Delaherche, qui prêtait anxieusement l’oreille, croyant à chaque seconde entendre le dernier coup.

Puis, comme il revenait vers Bouroche, pour lui rappeler le capitaine, il eut l’étonnement de le trouver par terre, au milieu d’une botte de paille, couché sur le ventre, les deux bras nus jusqu’aux épaules, enfoncés dans deux seaux d’eau glacée. À bout de force morale et physique, le major se délassait là, anéanti, terrassé par une tristesse, une désolation immense, dans une de ces minutes d’agonie du praticien qui se sent impuissant. Celui-ci pourtant était un solide, une peau dure et un cœur