Page:Zola - La Débâcle.djvu/361

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peine, et plus tard seulement les effroyables souffrances commençaient, jaillissaient en cris et en larmes.

Ah ! le bois scélérat, la forêt massacrée, qui, au milieu du sanglot des arbres expirants, s’emplissait peu à peu de la détresse hurlante des blessés ! Au pied d’un chêne, Maurice et Jean aperçurent un zouave qui poussait un cri continu de bête égorgée, les entrailles ouvertes. Plus loin, un autre était en feu : sa ceinture bleue brûlait, la flamme gagnait et grillait sa barbe ; tandis que, les reins cassés sans doute, ne pouvant bouger, il pleurait à chaudes larmes. Puis, c’était un capitaine, le bras gauche arraché, le flanc droit percé jusqu’à la cuisse, étalé sur le ventre, qui se traînait sur les coudes, en demandant qu’on l’achevât, d’une voix aiguë, effrayante de supplication. D’autres, d’autres encore souffraient abominablement, semaient les sentiers herbus en si grand nombre, qu’il fallait prendre garde, pour ne pas les écraser au passage. Mais les blessés, les morts ne comptaient plus. Le camarade qui tombait, était abandonné, oublié. Pas même un regard en arrière. C’était le sort. À un autre, à soi peut-être !

Tout d’un coup, comme on atteignait la lisière du bois, un cri d’appel retentit.

— À moi !

C’était le sous-lieutenant, porteur du drapeau, qui venait de recevoir une balle dans le poumon gauche. Il était tombé, crachant le sang à pleine bouche. Et, voyant que personne ne s’arrêtait, il eut la force de se reprendre et de crier :

— Au drapeau !

D’un bond, Rochas, revenu sur ses pas, prit le drapeau, dont la hampe s’était brisée ; tandis que le sous-lieutenant murmurait, les mots empâtés d’une écume sanglante :

— Moi, j’ai mon compte, je m’en fous !… Sauvez le drapeau !

Et il resta seul, à se tordre sur la mousse, dans ce coin