dents et des ongles, faute d’un couteau pour s’ouvrir la poitrine.
Et Gaude, alors, avec sa face douloureuse d’homme qui avait eu des chagrins dont il ne parlait jamais, fut pris d’une folie héroïque. Dans cette défaite dernière, tout en sachant que la compagnie était anéantie, que pas un homme ne pouvait venir à son appel, il empoigna son clairon, l’emboucha, sonna au ralliement, d’une telle haleine de tempête, qu’il semblait vouloir faire se dresser les morts. Et les Prussiens arrivaient, et il ne bougeait pas, sonnant plus fort, à toute fanfare. Une volée de balles l’abattit, son dernier souffle s’envola en une note de cuivre, qui emplit le ciel d’un frisson.
Debout, sans pouvoir comprendre, Rochas n’avait pas fait un mouvement pour fuir. Il attendait, il bégaya :
— Eh bien ! quoi donc ? quoi donc ?
Cela ne lui entrait pas dans la cervelle, que ce fût la défaite encore. On changeait tout, même la façon de se battre. Ces gens n’auraient-ils pas dû attendre, de l’autre côté du vallon, qu’on allât les vaincre ? On avait beau en tuer, il en arrivait toujours. Qu’est-ce que c’était que cette fichue guerre, où l’on se rassemblait dix pour en écraser un, où l’ennemi ne se montrait que le soir, après vous avoir mis en déroute par toute une journée de prudente canonnade ? Ahuri, éperdu, n’ayant jusque-là rien compris à la campagne, il se sentait enveloppé, emporté par quelque chose de supérieur, auquel il ne résistait plus, bien qu’il répétât machinalement, dans son obstination :
— Courage, mes enfants, la victoire est là-bas !
D’un geste prompt, cependant, il avait repris le drapeau. C’était sa pensée dernière, le cacher, pour que les Prussiens ne l’eussent pas. Mais, bien que la hampe fût rompue, elle s’embarrassa dans ses jambes, il faillit tomber. Des balles sifflaient, il sentit la mort, il arracha la