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Page:Zola - La Débâcle.djvu/383

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s’arrêta point, alla jusqu’à la chambre de sa femme, qui était voisine. Une lampe y brûlait, sur un coin de table, au milieu d’un silence frissonnant. En travers du lit, Gilberte s’était jetée toute vêtue, dans la crainte sans doute de quelque catastrophe. Très calme, elle dormait, tandis que, près d’elle, assise sur une chaise, et la tête seulement tombée au bord du matelas, Henriette sommeillait aussi, d’un sommeil agité de cauchemars, avec de grosses larmes sous les paupières. Un moment, il les regarda, tenté de réveiller la jeune femme, pour savoir. Était-elle allée à Bazeilles ? Peut-être, s’il l’interrogeait, lui donnerait-elle des nouvelles de sa teinturerie ? Mais une pitié lui vint, il se retirait, lorsque sa mère, silencieuse, parut sur le seuil de la porte, et lui fit signe de la suivre.

Dans la salle à manger, qu’ils traversèrent, il témoigna son étonnement.

— Comment, vous ne vous êtes pas couchée ?

Elle dit non d’abord de la tête ; puis, à demi-voix :

— Je ne peux pas dormir, je me suis installée dans un fauteuil, près du colonel… Une très forte fièvre vient de le prendre, et il s’éveille à chaque instant, il me questionne… Moi, je ne sais que lui répondre. Entre donc le voir.

M. de Vineuil, déjà, s’était rendormi. Sur l’oreiller, on distinguait à peine sa longue face rouge, que ses moustaches barraient d’un flot de neige. Madame Delaherche avait mis un journal devant la lampe, et tout ce coin de la chambre se trouvait à demi obscur ; pendant que la clarté vive tombait sur elle, sévèrement assise au fond du fauteuil, les mains abandonnées, les yeux au loin, dans une rêverie tragique.

— Attends, murmura-t-elle, je crois qu’il t’a entendu, le voici qui se réveille encore.

En effet, le colonel rouvrait les yeux, les fixait sur Dela-