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Page:Zola - La Débâcle.djvu/385

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d’un autre âge, de cette vieille et rude bourgeoisie des frontières, si ardente autrefois à défendre ses villes. Sous la vive clarté de la lampe, son visage sévère, au nez sec, aux lèvres minces, disait sa colère et sa souffrance, toute la révolte qui l’empêchait de dormir.

Alors, Delaherche se sentit isolé, envahi d’une détresse affreuse. La faim le reprenait, intolérable, et il crut que la faiblesse seule lui ôtait ainsi tout courage. Sur la pointe des pieds, il quitta la chambre, descendit de nouveau dans la cuisine, avec le bougeoir. Mais il y trouva plus de mélancolie encore, le fourneau éteint, le buffet vide, les torchons jetés en désordre, comme si le vent du désastre avait soufflé là aussi, emportant toute la gaieté vivante de ce qui se mange et de ce qui se boit. D’abord, il crut qu’il ne découvrirait pas même une croûte, les restes de pain ayant passé à l’ambulance, dans la soupe. Puis, au fond d’une armoire, il tomba sur des haricots de la veille, oubliés. Et il les mangea sans beurre, sans pain, debout, n’osant remonter pour faire un pareil repas, se hâtant au milieu de cette cuisine morne, que la petite lampe vacillante empoisonnait d’une odeur de pétrole.

Il n’était guère plus de dix heures, et Delaherche resta désœuvré, en attendant de savoir si la capitulation allait être signée enfin. Une inquiétude persistait en lui, la crainte que la lutte ne fût reprise, toute une terreur de ce qui se passerait alors, dont il ne parlait pas, qui lui pesait sourdement sur la poitrine. Quand il fut remonté dans son cabinet, où Maurice et Jean n’avaient pas bougé, vainement il essaya de s’allonger au fond d’un fauteuil : le sommeil ne venait pas, des bruits d’obus le redressaient en sursaut, dès qu’il était sur le point de perdre connaissance. C’était l’effroyable canonnade de la journée qu’il avait gardée dans les oreilles ; et il écoutait un instant, effaré, et il restait tremblant du grand silence qui, maintenant, l’entourait. Ne pouvant dormir, il préféra se