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Page:Zola - La Débâcle.djvu/416

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avec des débris louches, des lambeaux où l’on croyait reconnaître encore des cheveux. Mais l’effroi qui serrait les cœurs, venait des décombres, de ce Bazeilles si riant trois jours plus tôt, avec ses gaies maisons au milieu de ses jardins, à cette heure effondré, anéanti, ne montrant que des pans de muraille noircis par les flammes. L’église brûlait toujours, un vaste bûcher de poutres fumantes, au milieu de la place, d’où s’élevait continuellement une grosse colonne de fumée noire, élargie au ciel en un panache de deuil. Des rues entières avaient disparu, plus rien d’un côté ni de l’autre, rien que des tas de moellons calcinés bordant les ruisseaux, dans un gâchis de suie et de cendre, une boue d’encre épaisse noyant tout. Aux quatre coins des carrefours, les maisons d’angle se trouvaient rasées, comme emportées par le vent de feu qui avait soufflé là. D’autres avaient moins souffert, une restait debout, isolée, tandis que celles de gauche et de droite semblaient hachées par la mitraille, dressant leurs carcasses pareilles à des squelettes vides. Et une insupportable odeur s’exhalait, la nausée de l’incendie, l’âcreté du pétrole surtout, versé à flots sur les parquets. Puis, c’était aussi la désolation muette de ce qu’on avait essayé de sauver, des pauvres meubles jetés par les fenêtres, écrasés sur le trottoir, les tables infirmes aux jambes cassées, les armoires aux flancs ouverts, à la poitrine fendue, du linge qui traînait, déchiré, souillé, toutes les tristes miettes du pillage en train de se fondre sous la pluie. Par une façade béante, à travers des planchers écroulés, on apercevait une pendule intacte, sur une cheminée, tout en haut d’un mur.

— Ah ! les cochons ! grognait Prosper, en qui le sang du soldat qu’il était encore l’avant-veille, s’échauffait, à voir une abomination semblable.

Il serrait les poings, il fallut que Silvine, très pâle, le calmât du regard, à chaque factionnaire qu’ils rencon-