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Page:Zola - La Débâcle.djvu/431

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soulevèrent le corps d’Honoré, le couchèrent sur cette couverture, étalée par terre ; puis, après l’avoir enveloppé, ils le portèrent dans la charrette. La pluie menaçait de reprendre, ils se remettaient en marche, avec l’âne, petit cortège morne, au travers de la plaine scélérate, lorsqu’un lointain roulement de foudre se fit entendre.

Prosper, de nouveau, cria :

— Les chevaux ! les chevaux !

C’était encore une charge des chevaux errants, libres et affamés. Ils arrivaient cette fois par un vaste chaume plat, en une masse profonde, les crinières au vent, les naseaux couverts d’écume ; et un rayon oblique du rouge soleil projetait à l’autre bout du plateau le vol frénétique de leur course. Tout de suite, Silvine s’était jetée devant la charrette, les deux bras en l’air, comme pour les arrêter, d’un geste de furieuse épouvante. Heureusement, ils dévièrent à gauche, détournés par une pente du terrain. Ils auraient tout broyé. La terre tremblait, leurs sabots lancèrent une pluie de cailloux, une grêle de mitraille qui blessa l’âne à la tête. Et ils disparurent, au fond d’un ravin.

— C’est la faim qui les galope, dit Prosper. Pauvres bêtes !

Silvine, après avoir bandé l’oreille de l’âne avec son mouchoir, venait de reprendre la bride. Et le petit cortège lugubre retraversa le plateau, en sens contraire, pour refaire les deux lieues qui le séparaient de Remilly. À chaque pas, Prosper s’arrêtait, regardait les chevaux morts, le cœur gros de s’éloigner ainsi, sans avoir revu Zéphir.

Un peu au-dessous du bois de la Garenne, comme ils tournaient à gauche, pour reprendre la route du matin, un poste allemand exigea leur laissez-passer. Et, au lieu de les écarter de Sedan, ce poste-ci leur ordonna de pas-