Page:Zola - La Débâcle.djvu/450

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gros appétit torturait. Je vas l’assommer, voulez-vous ?

Mais Loubet l’arrêta. Merci ! pour se faire une sale histoire avec les Prussiens, qui avaient défendu, sous peine de mort, de tuer un seul cheval, dans la crainte que la carcasse abandonnée n’engendrât la peste. Il fallait attendre la nuit close. Et c’était pourquoi, tous les quatre, ils étaient dans le fossé, à guetter, les yeux luisants, ne quittant pas la bête.

— Caporal, demanda Pache, d’une voix un peu tremblante, vous qui avez de l’idée, si vous pouviez le tuer sans lui faire du mal ?

D’un geste de révolte, Jean refusa la cruelle besogne. Cette pauvre bête agonisante, oh ! non, non ! Son premier mouvement venait d’être de fuir, d’emmener Maurice, pour ne prendre part ni l’un ni l’autre à l’affreuse boucherie. Mais, en voyant son compagnon si pâle, il se gronda ensuite de sa sensibilité. Après tout, mon Dieu ! Les bêtes, c’était fait pour nourrir les gens. On ne pouvait pas se laisser mourir de faim, quand il y avait là de la viande. Et il fut content de voir Maurice se ragaillardir un peu à l’espoir qu’on dînerait, il dit lui-même de son air de bonne humeur :

— Ma foi, non, je n’ai pas d’idée, et s’il faut le tuer, sans lui faire du mal…

— Oh ! moi, je m’en fiche, interrompit Lapoulle. Vous allez voir !

Quand les deux nouveaux venus se furent assis dans le fossé, l’attente recommença. De temps à autre, un des hommes se levait, s’assurait que le cheval était bien toujours là, tendant le cou vers les souffles frais de la Meuse, vers le soleil couchant, pour en boire encore toute la vie. Puis, enfin, lorsque le crépuscule vint lentement, les six furent debout, dans ce guet sauvage, impatients de la nuit si paresseuse, regardant de toutes parts, avec une inquiétude effarée, si personne ne les voyait.