Page:Zola - La Débâcle.djvu/457

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nouvelles. Sa femme, Dieu merci ! allait très bien. Seulement, il avait des inquiétudes pour le colonel, qui était tombé dans un grand accablement, bien que sa mère continuât à lui tenir compagnie du matin au soir.

— Et ma sœur ? demanda Maurice.

— Votre sœur, c’est vrai !… Elle m’accompagnait, c’était elle qui portait les deux pains. Seulement, elle a dû rester là-bas, de l’autre côté du canal. Jamais le poste n’a consenti à la laisser passer… Vous savez que les Prussiens ont rigoureusement interdit aux femmes l’entrée de la presqu’île.

Alors, il parla d’Henriette, de ses tentatives vaines pour voir son frère et lui venir en aide. Un hasard l’avait mise, dans Sedan, face à face avec le cousin Gunther, le capitaine de la garde prussienne. Il passait de son air sec et dur, en affectant de ne pas la reconnaître. Elle-même, le cœur soulevé, comme devant un des assassins de son mari, avait d’abord hâté le pas. Puis, dans un brusque revirement, qu’elle ne s’expliquait point, elle était revenue, lui avait tout dit, la mort de Weiss, d’une voix rude de reproche. Et il n’avait eu qu’un geste vague, en apprenant cette mort affreuse d’un parent : c’était le sort de la guerre, lui aussi aurait pu être tué. Sur son visage de soldat, à peine un frémissement avait-il couru. Ensuite, lorsqu’elle lui avait parlé de son frère prisonnier, en le suppliant d’intervenir, pour qu’elle pût le voir, il s’était refusé à toute démarche. La consigne était formelle, il parlait de la volonté allemande comme d’une religion. En le quittant, elle avait eu la sensation nette qu’il se croyait en France comme un justicier, avec l’intolérance et la morgue de l’ennemi héréditaire, grandi dans la haine de la race qu’il châtiait.

— Enfin, conclut Delaherche, vous aurez toujours mangé, ce soir ; et ce qui me désespère, c’est que je crains bien de ne pouvoir obtenir une autre permission.