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Page:Zola - La Débâcle.djvu/466

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III


Pour la dernière fois, le matin, Jean et Maurice venaient d’entendre les sonneries si gaies des clairons français ; et ils marchaient maintenant, en route pour l’Allemagne, parmi le troupeau des prisonniers, que précédaient et suivaient des pelotons de soldats prussiens, tandis que d’autres les surveillaient, à gauche et à droite, la baïonnette au fusil. On n’entendait plus, à chaque poste, que les trompettes allemandes, aux notes aigres et tristes.

Maurice fut heureux de constater que la colonne tournait à gauche et qu’elle traverserait Sedan. Peut-être aurait-il la chance d’apercevoir une fois encore sa sœur Henriette. Mais les cinq kilomètres qui séparaient la presqu’île d’Iges de la ville, suffirent pour gâter sa joie de se sentir hors du cloaque, où il avait agonisé pendant neuf jours. C’était un autre supplice, ce convoi pitoyable de prisonniers, des soldats sans armes, les mains ballantes, menés comme des moutons, dans un piétinement hâtif et peureux. Vêtus de loques, souillés d’avoir été abandonnés dans leur ordure, amaigris par un jeûne d’une grande semaine, ils ne ressemblaient plus qu’à des vagabonds, des rôdeurs louches, que des gendarmes auraient ramassés par les routes, d’un coup de filet. Dès le faubourg de Torcy, comme des hommes s’arrêtaient et que des femmes se mettaient sur les portes, d’un air de sombre commisération, un flot de honte étouffa Maurice, il baissa la tête, la bouche amère.

Jean, d’esprit pratique et de peau plus dure, ne son-