Page:Zola - La Débâcle.djvu/47

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— Les gendarmes ! ah, ouiche ! on s’en fout, des gendarmes !… Vous ne savez pas, vous tous, ce que nous ferions, si nous étions de bons bougres ?… Tout à l’heure, quand on nous débarquera, nous filerions, oui ! nous filerions tranquillement, en laissant ce gros cochon de Badinguet et toute sa clique de généraux de quatre sous se débarbouiller comme ils l’entendraient avec leurs sales Prussiens !

Des bravos éclatèrent, la perversion agissait, et Chouteau alors triompha, en sortant ses théories, où roulaient dans un flot trouble la République, les droits de l’homme, la pourriture de l’Empire qu’il fallait jeter bas, la trahison de tous les chefs qui les commandaient, vendus chacun pour un million, ainsi que cela était prouvé. Lui se proclamait révolutionnaire, les autres ne savaient seulement pas s’ils étaient républicains, ni même de quelle façon on pouvait l’être, excepté Loubet, le fricoteur, qui, lui aussi, connaissait son opinion, n’ayant jamais été que pour la soupe ; mais, tous, entraînés, n’en criaient pas moins contre l’empereur, les officiers, la sacrée boutique qu’ils lâcheraient, et raide ! au premier embêtement. Et, soufflant sur leur ivresse montante, Chouteau guettait de l’œil Maurice, le monsieur, qu’il égayait, qu’il était fier d’avoir avec lui ; si bien que, pour le passionner à son tour, il eut l’idée de tomber sur Jean, immobile et comme endormi jusque-là, au milieu du vacarme, les yeux demi-clos. Depuis la dure leçon donnée par le caporal à l’engagé volontaire, qu’il avait forcé à reprendre son fusil, si celui-ci gardait quelque rancune contre son chef, c’était bien le cas de jeter les deux hommes l’un sur l’autre.

— C’est comme j’en connais qui ont parlé de nous faire fusiller, reprit Chouteau menaçant. Des salauds qui nous traitent pire que des bêtes, qui ne comprennent pas que, lorsqu’on a assez du sac et du flingot, aïe donc ! on foute