Page:Zola - La Débâcle.djvu/473

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Maurice s’enfiévrait de nouveau, et Jean dut se retourner, pour dire au tentateur :

— Si tu es pressé, cours devant… Qu’est-ce que tu espères donc ?

Devant le clair regard du caporal, Chouteau se troubla un peu. Il lâcha la raison vraie de son insistance.

— Dame ! si nous sommes quatre, ça sera plus commode… Y en aura toujours bien un ou deux qui passeront.

Alors, d’un signe énergique de la tête, Jean refusa tout à fait. Il se méfiait du monsieur, comme il disait, il craignait quelque traîtrise. Et il lui fallut employer toute son autorité sur Maurice, pour l’empêcher de céder, car une occasion se présentait justement, on longeait un petit bois très touffu, qu’un champ obstrué de broussailles séparait seul de la route. Traverser ce champ au galop, disparaître dans le fourré, n’était-ce pas le salut ?

Jusque-là, Loubet n’avait rien dit. Son nez inquiet flairait le vent, ses yeux vifs de garçon adroit guettaient la minute favorable, dans sa résolution bien arrêtée de ne pas aller moisir en Allemagne. Il devait se fier à ses jambes et à sa malignité, qui l’avaient toujours tiré d’affaire. Et, brusquement, il se décida.

— Ah ! zut ! j’en ai assez, je file !

D’un bond, il s’était jeté dans le champ voisin, lorsque Chouteau l’imita, galopant à son côté. Tout de suite, deux Prussiens de l’escorte se mirent à leur poursuite, sans qu’aucun autre songeât à les arrêter d’une balle. Et la scène fut si brève, qu’on ne put d’abord s’en rendre compte. Loubet, faisant des crochets parmi les broussailles, allait s’échapper sûrement, tandis que Chouteau, moins agile, était déjà sur le point d’être pris. Mais, d’un suprême effort, celui-ci regagna du terrain, se jeta entre les jambes du camarade, qu’il culbuta ; et, pendant que les deux Prussiens se précipitaient sur l’homme à terre,