lui acheter aussi son fonds de magasin, les trois douzaines de cigares qu’il promenait encore. Et, sans attendre, le chapeau enfoncé sur les yeux, il cria, d’une voix traînante :
— À trois sous les deux, à trois sous les deux, les cigares de Bruxelles !
Cette fois, c’était le salut. Il fit signe à Maurice de le précéder. Celui-ci avait eu la chance de ramasser par terre un parapluie ; et, comme il tombait quelques gouttes d’eau, il l’ouvrit tranquillement, pour traverser la ligne des sentinelles.
— À trois sous les deux, à trois sous les deux, les cigares de Bruxelles !
En quelques minutes, Jean fut débarrassé de sa marchandise. On se pressait, on riait : en voilà donc un qui était raisonnable, qui ne volait pas le pauvre monde ! Attirés par le bon marché, des Prussiens s’approchèrent aussi, et il dut faire du commerce avec eux. Il avait manœuvré de façon à franchir l’enceinte gardée, il vendit ses deux derniers cigares à un gros sergent barbu, qui ne parlait pas un mot de français.
— Ne marche donc pas si vite, sacré bon Dieu ! répétait Jean dans le dos de Maurice. Tu vas nous faire reprendre.
Leurs jambes, malgré eux, les emportaient. Il leur fallut un effort immense pour s’arrêter un instant à l’angle de deux routes, parmi des groupes qui stationnaient devant une auberge. Des bourgeois causaient là, l’air paisible, avec des soldats allemands ; et ils affectèrent d’écouter, ils risquèrent même quelques mots, sur la pluie qui pourrait bien se remettre à tomber toute la nuit. Un homme, un monsieur gras, qui les regardait avec persistance, les faisait trembler. Puis, comme il souriait d’un air très bon, ils se risquèrent, tout bas.
— Monsieur, le chemin pour aller en Belgique est-il gardé ?