Page:Zola - La Débâcle.djvu/479

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des chênes immobiles qu’ils prenaient pour des Prussiens. Enfin, ils débouchèrent de nouveau sur le chemin bordé de peupliers, à dix pas de la sentinelle, près des soldats, en train de se chauffer tranquillement.

— Pas de chance ! gronda Maurice, c’est un bois enchanté.

Mais, cette fois, on les avait entendus. Des branches s’étaient cassées, des pierres roulaient. Et, comme au qui vive de la sentinelle, ils se mirent à galoper, sans répondre, le poste prit les armes, des coups de feu partirent, criblant de balles le taillis.

— Nom de Dieu ! jura d’une voix sourde Jean, qui retint un cri de douleur.

Il venait de recevoir dans le mollet gauche un coup de fouet, dont la violence l’avait culbuté contre un arbre.

— Touché ? demanda Maurice, anxieux.

— Oui, à la jambe, c’est foutu !

Tous deux écoutaient encore, haletants, avec l’épouvante d’entendre un tumulte de poursuite, sur leurs talons. Mais les coups de feu avaient cessé, et rien ne bougeait plus, dans le grand silence frissonnant qui retombait. Le poste, évidemment, ne se souciait pas de s’engager parmi les arbres.

Jean, qui s’efforçait de se remettre debout, étouffa une plainte. Et Maurice le soutint.

— Tu ne peux plus marcher ?

— Je crois bien que non !

Une colère l’envahit, lui si calme. Il serrait les poings, il se serait battu.

— Ah ! bon Dieu de bon Dieu ! si ce n’est pas une malechance ! se laisser abîmer la patte, lorsqu’on a tant besoin de courir ! Ma parole, c’est à se ficher au fumier !… File tout seul, toi !

Gaiement, Maurice se contenta de répondre :

— Tu es bête !