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Page:Zola - La Débâcle.djvu/487

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son cabriolet. Il voulait lui-même conduire Maurice jusqu’à la frontière. Le père Fouchard, content d’en voir filer au moins un, descendit faire le guet sur la route, pour être certain qu’aucune patrouille ne rôdait ; tandis que Silvine achevait de recoudre la vieille blouse d’ambulancier, garnie, sur la manche, du brassard à croix rouge. Avant de partir, le docteur, qui examina de nouveau la jambe de Jean, ne put encore promettre de la lui conserver. Le blessé était toujours dans une somnolence invincible, ne reconnaissant personne, ne parlant pas. Et Maurice allait s’éloigner, sans lui avoir dit adieu, lorsque, s’étant penché pour l’embrasser, il le vit ouvrir les yeux très grands, les lèvres remuantes, parlant d’une voix faible.

— Tu t’en vas ?

Puis, comme on s’étonnait :

— Oui, je vous ai entendus, pendant que je ne pouvais pas bouger… Alors, prends tout l’argent. Fouille dans la poche de mon pantalon.

Sur l’argent du trésor, qu’ils avaient partagé, il leur restait à peu près à chacun deux cents francs.

— L’argent ! se récria Maurice, mais tu en as plus besoin que moi, qui ai mes deux jambes ! Avec deux cents francs, j’ai de quoi rentrer à Paris, et pour me faire casser la tête ensuite, ça ne me coûtera rien… Au revoir tout de même, mon vieux, et merci de ce que tu as fait de raisonnable et de bon, car, sans toi, je serais sûrement resté au bord de quelque champ, comme un chien crevé.

D’un geste, Jean le fit taire.

— Tu ne me dois rien, nous sommes quittes… C’est moi que les Prussiens auraient ramassé, là-bas, si tu ne m’avais pas emporté sur ton dos. Et, hier encore, tu m’as arraché de leurs pattes… Tu as payé deux fois, ce serait à mon tour de donner ma vie… Ah ! que je vais être inquiet de n’être plus avec toi !