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Page:Zola - La Débâcle.djvu/49

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coller au mur, les canailles qui viennent vous décourager, quand on a déjà tant de peine à se conduire proprement. Nom de Dieu ! les amis, votre sang ne fait donc pas qu’un tour, lorsqu’on vous dit que les Prussiens sont chez vous et qu’il faut les foutre dehors !

Alors, avec cette facilité des foules à changer de passion, les soldats acclamèrent le caporal, qui répétait son serment de casser la gueule au premier de son escouade qui parlerait de ne pas se battre. Bravo, le caporal ! on allait vite régler son affaire à Bismarck !

Et, au milieu de la sauvage ovation, Jean, calmé, dit poliment à Maurice, comme s’il ne se fût pas adressé à un de ses hommes :

— Monsieur, vous ne pouvez pas être avec les lâches… Allez, nous ne sommes pas encore battus, c’est nous qui finirons bien par les rosser un jour, les Prussiens !

À cette minute, Maurice sentit un chaud rayon de soleil lui couler jusqu’au cœur. Il restait troublé, humilié. Quoi ? cet homme n’était donc pas qu’un rustre ? Et il se rappelait l’affreuse haine dont il avait brûlé, en ramassant son fusil, jeté dans une minute d’inconscience. Mais il se rappelait aussi son saisissement, à la vue des deux grosses larmes du caporal, lorsque la vieille grand’mère, ses cheveux gris au vent, les insultait, en montrant le Rhin, là-bas, derrière l’horizon. Était-ce la fraternité des mêmes fatigues et des mêmes douleurs, subies ensemble, qui emportait ainsi sa rancune ? Lui, de famille bonapartiste, n’avait jamais rêvé la République qu’à l’état théorique ; et il se sentait plutôt tendre pour la personne de l’empereur, il était pour la guerre, la vie même des peuples. Tout d’un coup, l’espoir lui revenait, dans une de ces sautes d’imagination qui lui étaient familières ; tandis que l’enthousiasme qui l’avait, un soir, poussé à s’engager, battait de nouveau en lui, gonflant son cœur d’une certitude de victoire.