Page:Zola - La Débâcle.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

porte les doigts à ses lèvres, dans un geste fervent de reconnaissance… Il ne faut pas sourire, c’est trop terrible, que d’être ainsi comme enterré, avant l’heure.

Cependant, vers la fin d’octobre, Jean alla mieux. Le docteur consentit à enlever le drain, bien qu’il restât soucieux ; et la plaie parut pourtant se cicatriser assez vite. Déjà, le convalescent se levait, passait des heures à marcher dans la chambre, à s’asseoir devant la fenêtre, attristé par le vol des nuages. Puis, il s’ennuya, il parla de s’occuper à quelque chose, de se rendre utile dans la ferme. Un de ses malaises secrets était la question d’argent, car il pensait bien que ses deux cents francs avaient dû être dépensés, depuis six grandes semaines. Pour que le père Fouchard continuât à lui faire bonne mine, il fallait donc qu’Henriette payât. Cette pensée lui devenait pénible, il n’osait s’en expliquer avec elle, et il éprouva un véritable soulagement, lorsqu’il fut convenu qu’on le donnerait comme un nouveau garçon, chargé, avec Silvine, des soins intérieurs, pendant que Prosper s’occupait de la culture, au dehors.

Malgré l’abomination des temps, un garçon de plus n’était pas de trop, chez le père Fouchard, dont les affaires prospéraient. Tandis que râlait le pays entier, saigné aux quatre membres, il avait trouvé le moyen d’élargir tellement son commerce de boucher ambulant, qu’il abattait à cette heure le triple et le quadruple de bêtes. On racontait comment, dès le 31 août, il avait fait des marchés superbes avec les Prussiens. Lui, qui, le 30, défendait sa porte contre les soldats du 7e corps, le fusil au poing, refusant de leur vendre une miche, leur criant que la maison était vide, s’était établi marchand de tout, le 31, à l’apparition du premier soldat ennemi, avait déterré de ses caves des provisions extraordinaires, ramené des trous inconnus, où il les avait cachés, de véritables troupeaux. Et, depuis ce jour, il était un des