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Page:Zola - La Débâcle.djvu/517

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peine, mais il vaut mieux que vous soyez prévenue… j’ai vu ce matin, à Remilly, au coin de l’église, j’ai vu Goliath, comme je vous vois en ce moment, oh ! en plein, il n’y a pas d’erreur !

Elle devint toute blême, les mains tremblantes, ne trouvant à bégayer qu’une plainte sourde.

— Mon Dieu ! mon Dieu !

Prosper continua en phrases prudentes, raconta ce qu’il avait appris dans la journée, en questionnant les uns et les autres. Personne ne doutait plus que Goliath fût un espion, qui s’était installé autrefois dans le pays, pour en connaître les routes, les ressources, les moindres façons d’être. On rappelait son séjour à la ferme du père Fouchard, la façon brusque dont il en était parti, les places qu’il avait faites ensuite, du côté de Beaumont et de Raucourt. Et, maintenant, le voilà qui était revenu, occupant à la commandature de Sedan une situation indéterminée, parcourant de nouveau les villages, comme chargé de dénoncer les uns, de taxer les autres, de veiller au bon fonctionnement des réquisitions dont on écrasait les habitants. Ce matin-là, il avait terrorisé Remilly, au sujet d’une livraison de farine, incomplète et trop lente.

— Vous êtes prévenue, répéta Prosper en finissant, et vous saurez, comme ça, ce que vous aurez à faire, quand il viendra ici…

Elle l’interrompit, d’un cri de terreur.

— Vous croyez qu’il viendra ?

— Dame ! ça me semble indiqué… Il faudrait qu’il ne fût guère curieux, puisqu’il n’a jamais vu le petit, tout en sachant qu’il existe… Et, en outre, il y a vous, pas plus laide que ça, qui êtes bonne à revoir.

Mais, d’un geste de supplication, elle le fit taire. Réveillé par le bruit, Charlot avait levé la tête. Les yeux vagues, comme au sortir d’un rêve, il se rappela l’in-