Page:Zola - La Débâcle.djvu/522

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— À votre santé ! reprit-il en trinquant avec les trois hommes.

Puis, se torchant les lèvres d’un revers de main :

— Dites donc, ils en ont fait une histoire, pour ces deux uhlans qu’ils ont ramassés sans tête, près de Villecourt… Vous savez que Villecourt brûle depuis hier : une sentence, comme ils disent, qu’ils ont portée contre le village, pour le punir de vous avoir accueillis… Faut être prudent, vous savez, et ne pas revenir tout de suite. On vous portera le pain là-bas.

Sambuc ricanait violemment, en haussant les épaules. Ah, ouiche ! les Prussiens pouvaient courir ! Et, tout d’un coup, il se fâcha, tapa du poing sur la table.

— Tonnerre de Dieu ! les uhlans, c’est gentil, mais c’est l’autre que je voudrais tenir entre quatre-z-yeux, vous le connaissez bien, l’autre, l’espion, celui qui a servi chez vous…

— Goliath, dit le père Fouchard.

Toute saisie, Silvine, qui venait de reprendre sa couture, s’arrêta, écoutant.

— C’est ça, Goliath !… Ah ! le brigand, il connaît les bois de Dieulet comme ma poche, il est capable de nous faire pincer, un de ces matins ; d’autant plus qu’il s’est vanté, aujourd’hui, à la Croix de Malte, de nous régler notre compte avant huit jours… Un sale bougre qui a pour sûr conduit les Bavarois, la veille de Beaumont, n’est-ce pas ? vous autres !

— Aussi vrai que voilà une chandelle qui nous éclaire ! confirma Cabasse.

Per amica silentia lunæ, ajouta Ducat, dont les citations s’égaraient parfois.

Mais Sambuc, d’un nouveau coup de poing, ébranlait la table.

— Il est jugé, il est condamné, le brigand !… Si vous savez un jour par où il doit passer, prévenez-moi donc,