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Page:Zola - La Débâcle.djvu/535

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t’enlevions ta muselière, tu nous casserais les oreilles. Mais, tout à l’heure, je te donnerai un avocat, et un fameux !

Il alla chercher trois chaises, les aligna, composa ce qu’il appelait le tribunal, lui au milieu, flanqué à droite et à gauche de ses deux lieutenants. Tous trois s’assirent, et il se releva, parla avec une lenteur goguenarde, qui peu à peu s’élargit, s’enfla d’une colère vengeresse.

— Moi, je suis à la fois le président et l’accusateur public. Ce n’est pas très correct, mais nous ne sommes pas assez de monde… Donc, je t’accuse d’être venu nous moucharder en France, payant ainsi par la plus sale trahison le pain mangé à nos tables. Car c’est toi la cause première du désastre, toi le traître qui, après le combat de Nouart, as conduit les Bavarois jusqu’à Beaumont, pendant la nuit, au travers des bois de Dieulet. Il fallait un homme qui eût longtemps habité le pays, pour connaître ainsi les moindres sentiers ; et notre conviction est faite, on t’a rencontré guidant l’artillerie par les chemins abominables, changés en fleuves de boue, où l’on a dû atteler huit chevaux à chaque pièce. Quand on revoit ces chemins, c’est à ne pas croire, on se demande comment un corps d’armée a pu passer par là… Sans toi, sans ton crime de t’être gobergé chez nous et de nous avoir vendus, la surprise de Beaumont n’aurait pas eu lieu, nous ne serions pas allés à Sedan, peut-être aurions-nous fini par vous rosser ! Et je ne parle pas du métier dégoûtant que tu continues à faire, du toupet avec lequel tu as reparu ici, triomphant, dénonçant et faisant trembler le pauvre monde… Tu es la plus ignoble des canailles, je demande la peine de mort.

Un silence régna. Il s’était assis de nouveau, il dit enfin :

— Je nomme d’office Ducat pour te défendre… Il a été huissier, il serait allé très loin, sans ses passions. Tu