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Page:Zola - La Débâcle.djvu/537

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Les deux chandelles brûlaient, la mèche haute, comme des cierges, à droite et à gauche du visage décomposé de Goliath. Il faisait, pour crier grâce, pour hurler les mots dont il étouffait, un tel effort, que le mouchoir bleu, sur sa bouche, se trempait d’écume ; et c’était terrible, cet homme réduit au silence, muet déjà comme un cadavre, qui allait mourir avec ce flot d’explications et de prières dans la gorge.

Cabasse armait le revolver.

— Faut-il lui casser la gueule ? demanda-t-il.

— Ah ! non, non ! cria Sambuc, il serait trop content.

Et, revenant vers Goliath :

— Tu n’es pas un soldat, tu ne mérites pas l’honneur de t’en aller avec une balle dans la tête… Non ! tu vas crever comme un sale cochon d’espion que tu es.

Il se retourna, il demanda poliment :

— Silvine, sans vous commander, je voudrais bien avoir un baquet.

Pendant la scène du jugement, Silvine n’avait pas bougé. Elle attendait, la face rigide, absente d’elle-même, toute dans l’idée fixe qui la poussait depuis deux jours. Et, quand on lui demanda un baquet, elle obéit simplement, elle disparut une minute dans le cellier voisin, puis revint avec le grand baquet où elle lavait le linge de Charlot.

— Tenez ! posez-le sous la table, au bord.

Elle le posa, et comme elle se relevait, ses yeux de nouveau rencontrèrent ceux de Goliath. Ce fut, dans le regard du misérable, une supplication dernière, une révolte aussi de l’homme qui ne voulait pas mourir. Mais, en ce moment, il n’y avait plus en elle rien de la femme, rien que la volonté de cette mort, attendue comme une délivrance. Elle recula encore jusqu’au buffet, elle resta.

Sambuc, qui avait ouvert le tiroir de la table, venait