Page:Zola - La Débâcle.djvu/561

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ferait tant de peine !… Je sais bien, je t’avais juré que ça ne recommencerait jamais. Mais tu as vu Edmond, il est si brave, et il est si joli ! Puis, songe donc, ce pauvre jeune homme, blessé, malade, loin de sa mère ! Avec ça, il n’a jamais été riche, on a tout mangé chez lui, pour le faire instruire… Je t’assure, je n’ai pas pu refuser.

Henriette l’écoutait, effarée, ne revenant pas de sa surprise.

— Comment ! c’était avec le petit sergent !… Mais, ma chère, tout le monde te croit la maîtresse du Prussien !

Du coup, Gilberte se releva, s’essuya les yeux, protestant.

— La maîtresse du Prussien… Ah ! non, par exemple ! Il est affreux, il me répugne… Pour qui me prend-on ? comment peut-on me croire capable d’une pareille infamie ? Non, non, jamais ! j’aimerais mieux mourir !

Dans sa révolte, elle était devenue grave, d’une beauté douloureuse et irritée qui la transfigurait. Et, brusquement, sa gaieté coquette, son insoucieuse légèreté revinrent, au milieu d’un invincible rire.

— Ça, c’est vrai, je m’amuse de lui. Il m’adore, et je n’ai qu’à le regarder, pour qu’il obéisse… Si tu savais comme c’est drôle, de se moquer ainsi de ce gros homme, qui a toujours l’air de croire qu’on va enfin le récompenser !

— Mais c’est un jeu très dangereux, dit sérieusement Henriette.

— Crois-tu ? qu’est-ce que je risque ? Lorsqu’il s’apercevra qu’il ne doit compter sur rien, il ne pourra que se fâcher et s’en aller… Et puis, non ! jamais il ne s’en apercevra ! Tu ne connais pas l’homme, il est de ceux avec lesquels les femmes vont aussi loin qu’elles veulent, sans danger. Pour ça, vois-tu, j’ai un sens qui m’a toujours avertie. Il a bien trop de vanité, jamais il n’admettra que je me sois moquée de lui… Et tout ce que je lui permet-