et les vainqueurs, qu’un instant les deux armées s’étaient perdues, dans cette poursuite à tâtons sous le grand jour, Mac-Mahon filant vers Lunéville, tandis que le prince royal de Prusse le cherchait du côté des Vosges. Le 7, les débris du 1er corps traversaient Saverne, ainsi qu’un fleuve limoneux et débordé, charriant des épaves. Le 8, à Sarrebourg, le 5e corps venait tomber dans le 1er, comme un torrent démonté dans un autre, en fuite lui aussi, battu sans avoir combattu, entraînant son chef, le triste général de Failly, affolé de ce qu’on faisait remonter à son inaction la responsabilité de la défaite. Le 9, le 10, la galopade continuait, un sauve-qui-peut enragé qui ne regardait même pas en arrière. Le 11, sous une pluie battante, on descendait vers Bayon, pour éviter Nancy, à la suite d’une rumeur fausse qui disait cette ville au pouvoir de l’ennemi. Le 12, on campait à Haroué, le 13, à Vicherey ; et, le 14, on était à Neufchâteau, où le chemin de fer, enfin, recueillit cette masse roulante d’hommes qu’il chargea à la pelle dans des trains, pendant trois jours, pour les transporter à Châlons. Vingt-quatre heures après le départ du dernier train, les Prussiens arrivaient.
— Ah ! foutu sort ! conclut Picot, ce qu’il a fallu jouer des jambes !… Et nous qu’on avait laissés à l’hôpital !
Coutard achevait de vider la bouteille dans son verre et dans celui du camarade.
— Oui, nous avons pris nos cliques et nos claques, et nous courons encore… Bah ! ça va mieux tout de même, puisqu’on peut boire un coup à la santé de ceux qui n’ont pas eu la gueule cassée.
Maurice, alors, comprit. Après la surprise imbécile de Wissembourg, l’écrasement de Frœschwiller était le coup de foudre, dont la lueur sinistre venait d’éclairer nettement la terrible vérité. Nous étions mal préparés, une artillerie médiocre, des effectifs menteurs, des généraux incapables ; et l’ennemi, tant dédaigné, apparaissait fort