Page:Zola - La Débâcle.djvu/8

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déjà l’homme, au delà des faisceaux, s’en allait, s’évanouissait dans la nuit.

— Oh ! Goliath ! murmura-t-il, pas possible ! Il est là-bas, avec les autres… Si jamais je le rencontre !

D’un geste menaçant, il avait montré l’horizon envahi de ténèbres, tout cet Orient violâtre, qui pour lui était la Prusse. Il y eut un silence, on entendit de nouveau la retraite, mais très lointaine, qui se perdait à l’autre bout du camp, d’une douceur mourante au milieu des choses devenues indécises.

— Fichtre ! reprit Honoré, je vais me faire pincer, moi, si je ne suis pas là pour l’appel… Bonsoir ! adieu à tout le monde !

Et, ayant serré une dernière fois les deux mains de Weiss, il fila à grandes enjambées vers le monticule où était parquée l’artillerie de réserve, sans avoir reparlé de son père, sans rien avoir fait dire à Silvine, dont le nom lui brûlait les lèvres.

Des minutes encore se passèrent, et vers la gauche, du côté de la deuxième brigade, un clairon sonna l’appel. Plus près, un autre répondit. Puis, ce fut un troisième, très loin. De proche en proche, tous sonnaient à la fois, lorsque Gaude, le clairon de la compagnie, se décida, à toute volée des notes sonores. C’était un grand garçon, maigre et douloureux, sans un poil de barbe, toujours muet, et qui soufflait ses sonneries d’une haleine de tempête.

Alors, le sergent Sapin, un petit homme pincé et aux grands yeux vagues, commença l’appel. Sa voix grêle jetait les noms, tandis que les soldats qui s’étaient approchés, répondaient sur tous les tons, du violoncelle à la flûte. Mais un arrêt se produisit.

— Lapoulle ! répéta très haut le sergent.

Personne ne répondit encore. Et il fallut que Jean se précipitât vers le tas de bois vert, que le fusilier Lapoulle,