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Page:Zola - La Débâcle.djvu/85

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par les dernières pluies, le chemin était un véritable lit de boue, de l’argile grise délayée, où les pieds se collaient comme dans de la poix. La fatigue fut extrême, les hommes n’avançaient plus, épuisés. Et, pour comble d’ennui, des averses brusques se mirent à tomber, d’une violence terrible. L’artillerie, embourbée, faillit rester en route.

Chouteau, qui portait le riz de l’escouade, hors d’haleine, furieux de la charge dont il était écrasé, jeta le paquet, croyant n’être vu de personne. Loubet l’avait aperçu.

— T’as tort, c’est pas à faire, ces coups-là, parce qu’ensuite les camarades se brossent le ventre.

— Ah ! ouiche ! répondit Chouteau, puisqu’on a de tout, on nous en donnera d’autre, à l’étape.

Et Loubet, qui portait le lard, convaincu par le raisonnement, se débarrassa à son tour.

Maurice, lui, souffrait de plus en plus de son pied, dont le talon devait s’être enflammé de nouveau. Il traînait la jambe, si douloureusement, que Jean céda à une sollicitude grandissante.

— Hein ! ça ne va pas, ça recommence ?

Puis, comme on faisait une courte halte pour laisser souffler les hommes, il lui donna un bon conseil.

— Déchaussez-vous, marchez le pied nu, la boue fraîche calmera la brûlure.

En effet, Maurice put de cette façon continuer à suivre, sans trop de peine ; et un profond sentiment de reconnaissance l’envahit. C’était une véritable chance, pour une escouade, d’avoir un caporal pareil, ayant servi, sachant les tours du métier : un paysan mal dégrossi, évidemment ; mais tout de même un brave homme.

On n’arriva que tard à Contreuve, où l’on devait bivouaquer, après avoir traversé la route de Châlons à Vouziers et être descendu, par une côte raide, dans le ravin de Semide. Le pays changeait, c’étaient déjà les Ardennes.