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Page:Zola - La Débâcle.djvu/87

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manger, quand il y a tant de pauvres bougres qui ont le ventre vide !

C’était comme pour les trois pains, attachés sur les sacs : on ne l’avait pas écouté, les averses venaient de les détremper, à tel point qu’ils s’étaient fondus, une vraie bouillie, impossible à se mettre sous la dent.

— Nous sommes propres ! répétait-il. Nous qui avions de tout, nous voilà sans une croûte… Ah ! vous êtes de rudes cochons !

Justement, on sonnait au sergent, pour un service d’ordre, et le sergent Sapin, de son air mélancolique, vint avertir les hommes de sa section que, toute distribution étant impossible, ils eussent à se suffire avec leurs vivres de campagne. Le convoi, disait-on, était resté en route, à cause du mauvais temps. Quant au troupeau, il devait s’être égaré, à la suite d’ordres contraires. Plus tard, on sut que le 5e et le 12e corps étant remontés, ce jour-là, du côté de Rethel, où allait s’installer le quartier général, toutes les provisions des villages avaient reflué vers cette ville, ainsi que les populations, enfiévrées du désir de voir l’empereur ; de sorte que, devant le 7e corps, le pays s’était vidé : plus de viande, plus de pain, plus même d’habitants. Et, pour comble de misère, un malentendu avait envoyé les approvisionnements de l’intendance sur le Chêne-Populeux. Pendant la campagne entière, ce fut le continuel désespoir des misérables intendants, contre lesquels tous les soldats criaient, et dont la faute n’était souvent que d’être exacts à des rendez-vous donnés, où les troupes n’arrivaient pas.

— Sales cochons, répéta Jean hors de lui, c’est bien fait pour vous ! et vous ne méritez pas la peine que je vais avoir à vous déterrer quelque chose, parce que, tout de même, mon devoir est de ne pas vous laisser claquer en route !

Il partit à la découverte, comme tout bon caporal de-