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Page:Zola - La Débâcle.djvu/98

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les Prussiens ne devaient pas être loin, maintenant, car les officiers venaient d’avertir leurs hommes de ne pas s’attarder, tout traînard pouvant être enlevé par les reconnaissances de la cavalerie ennemie.

On était au 25 août, et Maurice, plus tard, en se rappelant la disparition de Goliath, demeura convaincu que cet homme était un de ceux qui renseignèrent le grand état-major allemand sur la marche exacte de l’armée de Châlons, et qui décidèrent le changement de front de la troisième armée. Dès le lendemain, le prince royal de Prusse quittait Revigny, l’évolution commençait, cette attaque de flanc, cet enveloppement gigantesque à marches forcées et dans un ordre admirable, au travers de la Champagne et des Ardennes. Pendant que les Français allaient hésiter et osciller sur place, comme frappés de paralysie brusque, les Prussiens faisaient jusqu’à quarante kilomètres par jour, dans leur cercle immense de rabatteurs, poussant le troupeau d’hommes qu’ils traquaient, vers les forêts de la frontière.

Enfin, on partit, et ce jour-là, en effet, l’armée pivota sur sa gauche, le 7e corps ne parcourut que les deux petites lieues qui séparent Contreuve de Vouziers, tandis que le 5e et le 12e corps restaient immobiles à Rethel, et que le 1er s’arrêtait à Attigny. De Contreuve à la vallée de l’Aisne, les plaines recommençaient, se dénudaient encore ; la route, en approchant de Vouziers, tournait parmi des terres grises, des mamelons désolés, sans un arbre, sans une maison, d’une mélancolie de désert ; et l’étape, si courte, fut franchie d’un pas de fatigue et d’ennui, qui sembla l’allonger terriblement. Dès midi, on fit halte sur la rive gauche de l’Aisne, bivouaquant parmi les terres nues dont les derniers épaulements dominaient la vallée, surveillant de là la route de Monthois qui longe la rivière et par laquelle on attendait l’ennemi.

Et ce fut, pour Maurice, une véritable stupéfaction,